Auteure invitée : Marie-Ève Trudel Vibert Je suis ta maman depuis presque 20 mois. Le genre de mère omniprésente, ce qui fait du reste de mon être :
Ah oui, j’oublie… Psst, ma louve! Ta maman, c’est une auteure. Qui n’écrit presque plus. Une entrepreneure qui n’amorce plus grand-chose. Bref, c’est une salariée. Tout un statement! Ta maman, c’est une salariée. Ce rôle, si honorable pour le commun des mortels et si mortel à mon corps défendant, est devenu prioritaire après celui d’être ta mère. Pour gagner une partie de notre vie. Éviter les risques. Ceux entamés avant ta naissance. Une mère, ça s’insécurise vite… Au bout du congé de maternité, ça revient sur le payroll. Depuis 20 mois, j’ai des airs d’un post-partum qui sévit, sans relâche. Comme Marine, le personnage principal de mon premier roman. Marine, c’est une femme en crise. Une mère accro. Parenté dans ma fiction. Acte de création à la fois inconscient et terriblement annonciateur. C’est ici qu’entre en scène le concept de conciliation. La conciliation, ma louve, c’est la quête du sacro-saint équilibre. Une notion très très tendance. J’ai essayé de l’intégrer, l’auto/boulot/dodo/temps sociaux, puisque je suis une femme moderne, mais j’ai échoué. En fait, je suis en train de le faire. J’échoue. Live. Là. Et si c’était dans le déséquilibre, dans le point de friction, dans le chavirement de la barque que mon aplomb, que mon audace à moi se cache? Si c’était dans l’absence de sacrifices? Tu n’as pas vu le film, ma louve, mais ta mère, c’est une divergente. Entends-moi bien, je vais te dire ce que je ne sacrifierai pas au nom de la conciliation. Je vais te conter comment je l’envoie valser aux quatre coins de ma faction. Je ne sacrifierai jamais la routine du petit matin qui évoluera au fur et à ta mesure. Peu importe ton heure de lever, on vivra ensemble les premières étapes du jour, du changement de couches au gobelet de lait que tu commandes encore à peine les yeux entrouverts. Tu câlineras ta doudou comme tu le fais magnifiquement, comme pour te réveiller tranquillement, apprivoiser la lueur qui naît juste pour nous deux. On grignotera un croissant dont les miettes fuiront entre les craques du divan. On en rira. Bien collées. J’arracherai délicatement les crottes d’yeux secs qui s’accrochent à ta peau sans laisser de traces rouges. Je brosserai de cent coups tes cheveux bouclés et j’essaierai de te les nouer, si tu me le permets. Papa viendra nous embrasser, et juste après, il se fera couler un grand café, puis servira un espresso très très serré à maman. On t’habillera devant Pat’Patrouille parce que c’est comme ça qu’on réussit désormais, hein, ma louve? Tu t’en iras à la garderie avec papa; je vous guetterai partir de la fenêtre de la cuisine, jusqu’à ce que la voiture ait quitté la cour. Ensuite seulement, je m’habillerai à la hâte et me coifferai également avec cet empressement qui me donnera un look négligé; ma nouvelle image. J’aurai pour seul déjeuner le souvenir d’un bout de croissant éparpillé sur le divan, le meilleur qui soit. Je partirai au travail avec 15-20 minutes de retard, mais ma patronne résonnera en mère, alors ça fera l’affaire. Je reviendrai à la maison au possible sur l’heure du lunch, pour vider le lave-vaisselle et le remplir à nouveau, me concocter un sandwich sur le pouce; remettre en état de marche un étage qui cohabite avec une tornade, tout ça en compagnie des personnages de District 31 en background question de rattraper l’intrigue (qui a tué Nadine Legrand?). L’idée derrière sera que notre maison t’accueille proprement, par son sourire de fin de journée. À 16 h, j’irai te chercher, ma louve. Je serai pressée d’y être, mais toi tu me feras poireauter un peu. Enthousiaste devant mon arrivée, tu ne seras toutefois pas insistante de quitter les « mamis ». Ce qui nous fera arriver à la maison entre 16 h 30 et 17 h. Faut dire qu’à Gaspé, on est exempt de trafic, ce qui facilite les choses. Dépendamment de la durée de ta sieste d’après-midi, de ton humeur, de tes envies, on restera dehors à profiter des derniers rayons ou bien on ira dans ta chambre se coller à nouveau. Comme pour se retrouver. Bientôt arrivera l’heure du souper, qui coïncidera avec le retour de papa. On s’y mettra à deux, car le repas du soir, avec toi, c’est un véritable champ de bataille. On étirera la sauce en écoutant de la musique, que tu aimes par-dessus tout. Peu après, ce sera le moment tant attendu du bain où ta principale occupation sera de m’asperger alors que je serai tout habillée. Une fois lavée, tu enfileras ton pyjama et feras un brin de lecture. Du Petit Prince pour les bébés à Lili Macaroni en passant par Charlot Tempo. Puis tu te glisseras sous la couette colorée dans ton lit de grande que tu quitteras rapidement pour t’installer au sol, à raz la porte ou au pied de ta commode (pourquoi fais-tu ça?). Je te veillerai une bonne heure, guettant le moindre de tes mouvements sur la caméra. Je me sentirai détendue, déchargée, mais je m’ennuierai de toi. Très tôt en soirée, je trouverai le sommeil. Pleine de ma journée, ma louve. Fatiguée, mais pleine. La routine du soir et celle du matin sont précieuses, car bien qu’intenses, ce sont les seuls fragments de ton quotidien auxquels nous avons accès. Le vif, le croquant, la lave de ton volcan nous échappe; elle appartient à tes éducatrices. On en connaît des bribes par la communication du journal de bord de fin de journée, des photos, des vidéos. Et ça m’angoisse à l’os. Tu sais quoi, ma louve, après une semaine de course folle exigée par la conciliation travail/famille/pistoutepistoute, j’ai préféré jusqu’ici m’occuper de notre intimité, de notre proximité, de notre cocon familial. Je t’ai surprotégée. La vie va vite. La preuve, tu deviens une enfant et je devrai bientôt arrêter de t’appeler « ma louve ». Pour l’expérimenter chaque jour depuis 34 ans, la vie est grande et prometteuse. Dans quelque temps, tu deviendras cet autre, au fait tu l’es déjà. Tu t’appartiendras à part entière, en toute autonomie, confiance, assurance. Tu attiseras ta propre curiosité qui te mènera ailleurs. Et peut-être que tu ne voudras plus revenir. Je te le souhaite presque. De t’en aller. Si loin. De vivre à fond. Mais bébé, pour l’instant et quelques instants encore, je te veux ici, je nous veux ensemble. Et je ne sacrifierai pas ça. Je ne te sacrifierai pas toi au nom de l’équilibre plate et rushant. Je ne compromettrai pas notre relation au nom d’un job, d’une tradition révolue, au nom d’une société malade. T’as bien entendu, ma louve. Je ne sacrifierai rien à tes dépens. Rien. Même pas moi. Plusieurs reproches me sont adressés. On me dit que je ne sors pas assez. Qu’on ne me voit que très rarement « en ville ». Que je ne t’ai pas encore inscrite à un cours de piscine… C’est que… J’ai bien tenté de concilier l’inconciliable, juré craché ma louve, mais je me suis plantée. Rageant contre mes propres démons, je n’ai pas vu qu’à la maison, ton père faisait tout ce qu’il pouvait pour m’alléger. Au travail, même branle-bas de combat, on a réorganisé mon poste autour de mes attentes, mes intérêts, on a retiré l’élastique de mon horaire pour rendre flexibles mes arrivées et mes départs. Le hic, ma louve, c’est moi. J’ai un problème d’adaptation, parole de médecin. C’est pour ça que mes rôles sont si insatisfaits. Ne sachant pas comment être ta mère, je me suis sacrifiée pour mieux te servir. Et je n’en peux plus, ma louve. J’ai besoin de retrouver le chemin vers ma liberté. Être mère, en Gaspésie ou à Tombouctou, c’est être mère. Devenir parent, c’est d’abord s’enfarger dans ses propres frontières, puis franchir toutes les autres, une à une. C’est se brancher pour s’informer, partager, comparer, critiquer, comprendre. D’où la genèse de ce blogue. D’où l’importance de se lire. De se répondre. De se nourrir. De se pardonner. Je te l’annonce, ma louve, à partir de désormais, je « déconcilie ». Pour notre bien à toutes les deux. Pas question que je te lance dans 20 ans cette phrase si accablante : « après tout ce que j’ai fait pour toi… » Je ne veux pas être amère. Coupable. Pliée en deux comme le bossu de t’avoir tout et mal donné. Je veux être ta mère sans avoir à t’aimer et te haïr en alternance. Je vais t’apprendre une expression que j’ai toujours trouvée pertinente, sans l’appliquer pour la peine : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour; si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours ». Je te fais cette promesse : je t’apprendrai tout ce que je sais, ma louve. En parallèle, je me choisirai, OK. À court terme, ça ne t’impressionnera pas. Mon amour demeurera aussi soutenu. Inconditionnel. Mais pas malsain. Peut-être que tu capteras la petite lumière qui cherchera à renaître au fond de mes yeux. Celle avec laquelle je me serai réconciliée. Peut-être que tu seras fière de moi. Tu vois. Je suis en train de te montrer à nager. Cours privé. Je t’aime, ma louve. Faut juste que je m’aime un peu, maintenant. |
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Juillet 2021
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