15/10/2020
Parti pour la chasseAuteure: Marie-Ève Trudel-Vibert Ta roulotte est prête ?
As-tu checké ton vieux truck ? Parce qu’y fait pas mal frette ! As-tu amené tes grosses bottes ? Ça y est ! Mon p’tit mari est parti pour la chasse. Comme dans la toune de Louis Bérubé que ma tante Annie a introduite dans l’oreille de ma louve… à l’âge de 2 mois et demi !!! Dire qu’en 2010, alors qu’on emménageait nos cerveaux de diplômés et qu’on replantait nos cœurs saignants/salins en terre natale, il m’a juré qu’il ne tomberait jamais dans la « trappe » de la chasse. Je l’ai cru, tout bonnement. Parce que ça ne me parlait pas de lui. Gilles, c’est un pêcheur. Une espèce de Cyril Chauquet des trous à truites. Du lever au coucher du soleil, sans bouteille d’eau ni sandwich, il parcourt des rivières sauvages comme s’il était payé pour le faire, prenant soin de me lancer, avant chaque « grand » départ : si j’suis pas de retour à noirceur, appelle la police. Une femme avertie en vaut deux. Puis le bar rayé est arrivé sur les côtes gaspésiennes, et il s’en est entiché, lui aussi. L’été dernier, ce fut le tour du saumon. De sa première prise. Les années filent, le poisson grossi, le pêcheur-athlète se calme la perche. Naît cette envie de « prendre » le bois. Parce que c’est comme un vrai fantasme, de mettre sa veste orange. La chasse fait bonne figure dans ma famille. Tout le monde (ou presque) en est ! Même ma cousine Jasmine (qui d’ailleurs s’illustre dans bien des domaines dits « réservés » aux hommes). Des bêtes, j’en ai vu plus d’une « palentées » après le garage, en dessous du spot light. En zyeutant furtivement le travail des videurs, on syntonisait Dans mon Shack pour féliciter nos chasseurs préférés d’avoir abattu, ou bedon pour parler à l’animateur parce que, ben oui, « Bébé Bélanger », c’est mon oncle. It’s mine !!! Après dix ans d’exil, la chasse est revenue back, lentement et assurément, par la parenté, le réseau tranquillement retricoté. Pourquoi ça m’achale que mon p’tit mari y adhère ? En quoi je vénère le pêcheur en lui et non le chasseur ? Et si je me repassais le film ? Quand la chasse s’est invitée au bungalow, j’étais crissement en postpartum. En lettres capitales, doublées, soulignées, rougies. J’étais crevée. Vidée. Tu sais, quand tu prépares la cafetière avant d’aller au lit, pour sauver du temps, et que tu pèses sur on machinalement. Que pendant que tes mains effectuent sans ton consentement une dernière tâche quotidienne, tes narines inspirent les arômes du matin pis tes yeux intègrent que les douze tasses prévues pour demain sont coulées. Qu’il est 22 h 30. Qu’étant donné la honte du « gaspille », tu te laisseras tenter. Par une tasse pis trois autres. Tu ne dormiras pas de toute façon. J’avais atteint ce niveau de fatigue là. Quelques jours avant le premier départ de mon nouveau chasseur, je suis allée faire mon épicerie de veuvage. Au retour, en m’engageant dans la cour, je suis rentré franc dans la galerie que j’ai décâlissée comme si c’était ma seule option. Brûlée frette. Puis pour en ajouter une couche, c’est le cas de le dire, la gastro s’est pointée comme une taxe de bienvenue. C’était moi l’animal. Le Bambi à terre, bien miré, vite tué. J’ai dû formuler une demande d’aide (allô, papa et maman) ; dans le temps, je n’étais pas forte là-dessus. Je me suis améliorée. La chasse, cette année-là, représentait le superflu au-delà du super flux (ark!). Le luxe. L’eldorado. J’en étais jalouse. Moi aussi, j’aurais voulu abuser des bonnes pis des moins bonnes choses. Fouler mon char de stock de camping, de bouffe pis d’alcool comme pour me préparer à vivre un show de la Saint-Jean avec un foie de 18 ans. Mais non. Je n’étais qu’une jeune maman qui allait rester au bungalow pour allaiter un bébé dont je ne m’étais pas encore imprégnée. Trop vannée pour saisir que j’avais du temps en cadeau. J’ai attendu que ça passe. À l’an 2, j’avais repris les rênes de ma vie. Dans un pourcentage acceptable. J’étais de retour au travail (mon ancien) et je reconnectais avec les activités de mon entreprise. D’ailleurs, après la chasse, j’ai participé au Salon du livre de Bonaventure. J’ai loué l’Élyme B2 sur trois jours avec mes sista, l’un des chalets du Bioparc. C’était devenu ma chasse à moi. Celle de p’tit mari a passé en coup de vent. La gastro a encore trouvé le chemin de la maison, puis elle a suivi l’homme dans sa watch. J’ai donc sollicité l’aide de mes proches, je me suis remise sur pied puis j’ai concocté des boules won-ton avec ma tante Annie. Cela étant, il me restait du jus, ça fait que j’ai claqué 500 $ d’accessoires de salon chez IKEA. J’ai attendu la livraison. Pour la 3e, ma louve venait d’avoir deux ans. Mon beau-père, Bob, s’est joint à son fils et ma belle-mère, Claire, en a profité pour nous visiter avec à bord un sac plein de comfort food. Quelle chance ! Bien sûr, j’étais pas mal busy, car je me préparais au Salon du livre où j’organisais un lancement puis à l’Élyme B2, où j’allais pour la seconde fois me retrouver, tout simplement. C’était l’année où j’ai tout plaqué pour m’entreprendre complètement. J’étais débordée et hyperactive. Le vendredi suivant, nos hommes ont abattu. Fiers de leur buck, ils nous ont invitées à les rejoindre au chalet communautaire pour souper et festoyer. C’est dans une tempête de neige — la première de la saison — que nous sommes débarquées dans le bois, Claire, tante Annie, louve et moi. En stationnant l’auto, nous avions une vue imprenable sur le cadavre dépouillé. J’ai redirigé mon regard dégoûté, question de l’éviter à ma fille. Je me suis ressaisie, et j’ai affiché un sourire qui se voulait neutre. Jusqu’à ce qu’on entre dans le chalet, chargé d’une odeur déroutante. Un mélange d’hommes, de feu qui crépite, de sauce BBQ qui mijote, d’huile à frire, de bières. Ce n’était pas désagréable, quelque chose comme un parfum de refuge. Du reste, il y avait de l’ambiance, de la bonne musique, ma louve dansait et se cachait en dessous des tables dans son pyjama à pattes de dinosaures multicolores. Dire que j’étais hors de ma zone de confort serait un euphémisme. Comme je n’étais pas la conductrice désignée, je calais du blanc. Parce que je suis bonne là-dedans. Après le souper, nous sommes parties. Pas question pour moi de coucher là (les hommes avaient soulevé l’idée !). Un dernier p’tit bec. Avant de fermer la porte. Notre 4e chasse a été plutôt relax ; pas de virus, pas de visite ni l’envie de rendre visite, louve et moi on s’est offert un week-end entre filles. Louane était dans son année de 3 ans, et jusqu’à maintenant, c’est ma période favorite de son développement (facile de comparer avec son fucking four actuel). J’avais préalablement dévalisé le Dollo pour nous équiper en fournitures d’Halloween ; entre les retailles de papier et les araignées en plastique, on est sorties déjeuner, on a pris l’air. Les journées se clôturaient dans le salon, pique-niquant sur des pâtes devant la télé. Sans oublier le retour du cododo. Le set-up était parfait. Ma fille d’adon. Je viens d’entamer ma 5e séance de veuvage. Parce que la chasse est zonée verte en Gaspésie, alors que la région est un mixte de rouge et d’orange brûlé. Je me sens fatiguée comme à l’an 1, mais pas pour les mêmes raisons. Cette fois, je porte le poids du long confinement suivi du délestage puis de l’incertitude aux couleurs chaudes. Les vagues se succéderont-elles indéfiniment ? En moi, le torrent. Tu ne seras pas surpris, je juge que la chasse ne devrait pas avoir lieu. Par souci de cohérence. Et pour les risques encourus. Les mesures sanitaires obligatoires, surtout celles recommandées, relèvent de la science-fiction. Être chasseuse, je passerais mon tour. Mais ce n’est pas le cas. Et je pense à mon mari. Ce chasseur encore green, qui souhaite le rester, et pour qui la chasse symbolise quelques jours dans l’année investis pour lui-même. Une tranche de vie, en parallèle de la nôtre, dans laquelle il lâche la pression, retire ses mains du presto qui menace de sauter. Là où c’est permis et même valorisé de se débrancher. De skipper le gel qui tient son habituel toupet coiffé en crête de coq. De ne pas se shaver. Sa chasse à lui est un prétexte pour se mettre à off, reconnecter avec la nature, s’emplir de la passion des autres, refaire ainsi le plein. Un rituel automnal pour un reset annuel. Rien de moins. La chasse, c’est Noël deux mois avant, celui des chasseurs. Je te raconte, je me raconte, et puis je trouve mes réponses. Ce qui m’achale dans le fait que Gilles adhère à cette tradition familiale et gaspésienne, c’est qu’il a fait un choix, qu’il a établi une priorité qui n’est pas la mienne. Si j’ai eu l’impression qu’il nous enlevait du temps en famille, qu’il dépensait de l’argent inutilement, c’est à cause de mes manques. Nos choix parlent de nous ; le sien lui permet d’arrêter momentanément d’en faire un tas, dans sa vie professionnelle et personnelle. La chasse lui donne congé d’autres prises de décisions. Pourquoi pas ? C’est intelligent. C’est pertinent. C’est intéressant. J’ai également compris pourquoi je vénère le pêcheur en lui et non le chasseur. C’est comme si, pour moi, la mort n’avait pas la même résonnance. Celle des poissons est plus silencieuse, celle des bêtes est une suite de klaxons. Tu ne verras pas un pêcheur se pavaner avec le squelette d’un bar rayé exposé sur le hood de son Civic monté pour se rendre à une parade. De surcroit, la pêche sportive est adepte du catch and release. À la chasse, c’est plus difficile de gracier. OK… les pêcheurs sont redoutables sur le gram, mais j’y vois davantage un éloge à la beauté suivie d’une remise à l’eau (souvent). Je n’ai rien contre l’abattage, j’aime la viande, mais je ne tiens pas à assister à la glorification de mon prochain osso bucco dans des boîtes de camionnette. Je n’en ai que faire des trophées de chasse, positionnés exprès, les bois bien en l’air en signe de victoire. Ça me coupe l’appétit. Je compare cet étalage au dude qui présente sa nouvelle blonde aux seins refaits à ses chums de gars, l’air de dire : « Check mon nouveau rack? » Une réplique qui manque de panache ! Je te laisse, j’ai hâte de commencer mon veuvage de confinée. Ça va ressembler à l’an dernier, sauf pour les restos. Pis je vais sûrement écouter mon oncle « Bébé Bélanger » à la radio. Bonne chasse à tous les chasseurs et chasseuses de notre territoire. Soyez prudents. Portez le couvre-visage. Lavez-vous les mains souvent, surtout après l’éviscération. Pour le reste… Attention aux écureuils, qui fouillent dans votre packsack ! |
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Novembre 2020
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