28/1/2019
Renaître après la naissanceAuteure invitée : Carole-Anne Goudreault J’aime beaucoup les chroniques d’Anick Lemay. Quand je les lis, j’ai l’impression de vivre, l’espace de quelques minutes, la bataille contre le cancer du sein. Elles m’ont sensibilisée à tout ce que ça impliquait « avoir le cancer ». À l’instar d’Anick, j’ai eu envie de vous emmener avec moi dans ma renaissance. De mon appel à l’aide maladroit à ma guérison. J’ai eu envie de vous montrer comment ça se passe, dans le vrai monde, recevoir de l’aide pour une dépression périnatale.
« Ils ne feront rien. Que me donner des pilules et me retourner chez nous. » Ces mots sont les miens. Je réponds à ma mère debout en face de moi. Elle vient de proposer que je me rende à l’urgence. Elle tient mon bébé endormi dans ses bras. Je la vois se balancer d’une jambe à l’autre bien que je ne la regarde pas franchement. Depuis que j’ai décidé de donner ma fille en adoption, j’évite de la regarder pour tenir à l’écart les larmes qui sont toujours trop près. Je me sens trahie. J’ai l’impression que tout le monde autour de moi se soucie plus du bien-être de ma fille que du mien. Ils ne respectent pas mes besoins. Ils lui ont donné ma place. Je ne veux pas aller à l’hôpital, mais mes parents ne cèdent pas. Ils sont fermes tout en étant flexibles. Je n’ai pas le choix d’aller consulter. Le seul vrai choix que j’ai, c’est de décider du moment où je m’y rendrai. Soit immédiatement. Soit plus tard cette semaine. Je ne prends aucune décision. Parce qu’en vérité, je ne veux pas aller mieux. Je ne m’en sens pas la force. Je n’ai pas dormi depuis plusieurs jours, peut-être quelques semaines. Je ne me suis pas nourri de la journée. Et ma tristesse est si profondément ancrée dans mon être que je ne me vois plus m’en départir. Devant mon manque de collaboration, mon père m’oblige à aller à l’hôpital avec lui. Je le suis passivement de la table de cuisine à l’entrée où je m’habille, complètement détachée de la situation, puis à travers la porte d’entrée et jusque dans sa voiture. Je sens à peine l’odeur de cigarette qui imprègne les sièges. J’ai l’impression de vivre une expérience extra-corporelle. À l’urgence, on me prend tout de suite en charge. Je n’ai même pas rencontré le médecin que déjà, la travailleuse sociale me fait parler. Elle me pose les bonnes questions. Elle laisse juste assez de place pour les silences. Elle s’assure que mon bébé va bien, qu’elle est en sécurité et qu’on a un plan pour s’occuper d’elle. Elle briefe mon médecin pour m’éviter d’avoir à tout raconter de nouveau. La docteure base principalement son diagnostic sur ce que j’ai déjà nommé. Idées suicidaires. Tristesse. Désespoir. Insomnie. Perte d’appétit. Incapacité à éprouver de la joie. Incapacité à ressentir de l’amour pour ma fille. Culpabilité. La maudite culpabilité. Celle qui prend toute la place. Celle qui joue avec ton cerveau. Parce que je me sens tout le temps coupable. Coupable de ne pas être heureuse. Coupable de ne pas être la maman que je voudrais être. Coupable de rejeter mon bébé. Coupable d’être malade. Coupable de toute. On me transfère d’hôpital en taxi. Je ne dis pas un mot durant tout le trajet. Je fixe juste le vide à travers la fenêtre pendant une heure. Ce soir-là, je dors, assommée par le médicament qu’on me donne et la tête libre de mes contraintes de nouvelle maman. Je rencontre ma psychiatre pour la première fois le lendemain. C’est une résidente. Je n’en fais pas de cas ; je ne me sens pas assez importante pour déranger un psychiatre de toute façon. Elle me fait pleurer avec ses questions. Elle se montre compatissante. Elle finit par me prescrire les mêmes antidépresseurs qu’à ma précédente dépression et des antipsychotiques « pour m’aider à dormir ». J’aurais pu passer le reste de la journée dans ma chambre, mais ma colocataire, une dame d’environ soixante-dix ans à la démarche chancelante et au dos courbé, m’incite à aller avec elle dans le salon.Je me résigne à la suivre de l’autre côté du corridor sans réel engouement. Je me mêle aux autres patients timidement. J’apprends les raisons pour lesquelles ils sont là. Épisode dépressif majeur nécessitant des électrochocs. Bipolarité. Trouble de personnalité limite avec hallucinations. Expertise psychiatrique en vue d’une défense de non-responsabilité criminelle. Je me demande sincèrement ce que je fais ici. Même les patients banalisent mon état. « Ça arrive, des dépressions post-partum. T’es normale. » Une semaine plus tard, je comprends enfin à quel point j’avais besoin d’aide. Ma mère m’accompagne pour une sortie. Nous sommes dans sa voiture glacée par l’hiver hâtif et elle vient de mettre en fonction mon siège chauffant. Je regarde le symbole s’illuminer sur l’écran d’accueil. À ce moment, j’ai l’impression d’émerger d’un brouillard. Tout me frappe d’un coup. J’aurais pu faire vraiment mal à mon bébé. J’aurais pu me tuer. Je ne comprends pas comment je me suis rendu si creux dans ma dépression. Et même si j’aurais dû ressentir de la surprise, de la gratitude ou de la tristesse, je n’arrive pas à ressentir quoi que ce soit. Avec mes médicaments, je me sens complètement coupée de mes émotions. Je n’arrive plus à avoir du plaisir, à trouver les blagues drôles. Je me force à rire lorsque je sais intellectuellement que je devrais. Mais la tristesse ne m’atteint plus comme avant. Elle n’est plus ancrée au plus profond de mon âme et les idéations de mort sont parties avec elle. Je n’aime pas cette sensation, mais à ce moment précis de ma vie, c’est exactement ce dont j’ai besoin. Pendant mes trois semaines d’hospitalisation, j’apprivoise le fait que mon corps a trahi mon esprit. Je demande à ma psychiatre de rencontrer mes proches pour leur expliquer que je souffre d’un mal biologique. Je souhaite qu’elle enlève du poids des épaules de mon amoureux qui a l’impression de ne pas m’avoir assez aidé avec la petite. Je veux que tout mon entourage sache que ce n’est pas le cas, que je n’ai pas de mots pour décrire le doigté avec lequel mon amoureux gère la situation. En plus de s’inquiéter pour moi, il veille sur Simone, gère les incompréhensions des membres de ma famille, donne des nouvelles à mes amies, rencontre une demi-douzaine d’intervenants du CLSC, et ce, tout en se cherchant dans son nouveau rôle de papa. Je fais des lectures sur ma maladie et sur la façon de la battre. Je participe à des ateliers pour m’aider à mettre mes nouvelles astuces en pratique. Je soigne mon hygiène de vie. Je planifie une semaine type pour mon retour à la maison. Je rencontre ma fille sous supervision médicale. Je fais des sorties avec mon entourage pour recréer les liens de camaraderie avec eux. Ceux-là mêmes que mon sentiment de trahison m’a volés. Ma mère, mon père, mon frère, ma belle-soeur, mon conjoint. Ils se sont tous fait un point d’honneur à se relayer pour me rendre visite. Ils m’ont proposé des activités que j’aime pour me faire sortir de l’hôpital. Ils m’ont respectée les journées où je n’avais le goût de ne rien faire. Ils se sont empêchés de me parler de mon bébé. Ils ont partagé ma détresse, l’ont pleuré à leur façon. Je suis nerveuse et excitée à l’idée de retourner à ma vie. Je ne sais pas si je suis prête à quitter l’hôpital, mais j’en ai envie. Je nomme, auprès de mon infirmière, les inquiétudes qui m’habitent. Peur de ne pas pouvoir gérer la pression engendrée par les différents intervenants du CLSC. Peur que mon lien avec ma fille soit brisé définitivement. Elle me rassure, me ramène dans le moment présent et abaisse les attentes que j’ai envers moi-même. Elle me parle des leçons qu’elle a tirées en tant que maman d’expérience. Elle prend le temps de parler avec moi dans la douceur. Je me sens réellement écoutée. Avec elle, je n’ai pas la crainte d’être jugée. Je retourne à la maison au début du mois de décembre. En quittant l’hôpital, j’ai l’impression de quitter un appartement. Pendant mon séjour, j’ai appris à bien me sentir, à être à l’aise dans cette aile psychiatrique. Je m’y sens chez-moi. Je suis heureuse que cette étape de ma vie soit terminée et je suis surtout reconnaissante envers le corps infirmier de s’être si bien occupée de moi. Les premières journées se passent bien, mais j’ai rapidement de la difficulté à concilier les soins à apporter à ma fille, ses exercices donnés par la physiothérapeute, mes rencontres de suivi psychologique, les rencontres avec les intervenants du CLSC et ma nouvelle hygiène de vie. Je me sens envahie par le protocole d’encadrement en cas de dépression post-partum. Une Infirmière en périnatalité, une physiothérapeute, une éducatrice spécialisée, une travailleuse sociale ; ce sont les intervenants attitrés à notre dossier. Chacune, bien que pleine de bonnes intentions, renforce mon sentiment d’incompétence parentale avec leur opinion arrêtée sur la façon dont nous devrions exercer notre rôle de parents. La seule qui me fait réellement du bien, c’est Andréanne, notre travailleuse sociale. Elle cherche à comprendre les mécanismes derrière ma dépression post-partum. Elle m’explique certaines réactions de mon entourage, m’apporte des pistes de solutions pour gérer les situations problématiques. Elle me réapprend à faire de la thérapie cognitivo-comportementale. Elle me donne des outils concrets pour m’adapter à mon nouveau rythme de vie de maman à besoins particuliers. Elle nous encourage à prendre soin de notre couple. Les semaines passent. Mon bébé grandit. Un peu avant les Fêtes, je conviens avec mon psychothérapeute que nous pouvons désormais cesser la thérapie. J’ai déjà les outils nécessaires pour affronter mes batailles quotidiennes. Vers la fin janvier, j’arrive à éprouver du plaisir en jouant avec ma fille. En avril, je reprends le travail à temps partiel. Ma fille a six mois. Ma psychiatre n’est pas d’accord avec ma décision, mais j’ai besoin de me réaliser en dehors de la maison. J’ai l’impression d’être utile à la société. Ça me valorise beaucoup. En août, j’obtiens ma rémission complète. Je suis euphorique en sortant du bureau de ma psychiatre. Je suis tellement fière. Une dépression, ça change une vie. Ça ordonne les priorités. Ça nous oblige à prendre soin de nous. Ça nous emplit d’une force insoupçonnée. Il y a une phrase que j’aime bien employer quand j’ose parler de dépression : je ne le souhaite pas à personne, mais je suis contente d’être passée par là. Comprenez-moi bien. Je ne suis pas reconnaissante pour les idées irrationnelles, les flashs de morts, les attaques de panique, la grande tristesse ou le vide insoutenable. Mais dans ma vie de tous les jours, je suis heureuse d’avoir appris à vivre dans le moment présent, à contrôler mes pensées, à exprimer mes sentiments, à fixer mes limites. |
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Novembre 2020
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